« Je suis un vieil homme habité par la guerre. Chaque fois que j'ai cru pouvoir m'éloigner d'elle, un événement est survenu qui l'a lancée à mes trousses. Vieux chien hargneux, elle s'accroche à moi et refuse de me lâcher. Mais je ne sens rien de féroce dans sa ténacité. Son grognement est presque un murmure d'amitié. Alors je le caresse. Il ouvre sa gueule et, sans hâte, il me précède. Je le suis. Je sais très bien qu'il me conduit sur le sentier des guerres que nul ne saurait vraiment oublier. Des sentiers où m'ont précédé nombre de mes camarades aujourd'hui disparus. Et si j'éprouve ce soir le besoin de me remémorer ce temps, c'est moins pour le plaisir d'en retrouver le parfum fané que par besoin de revivre certaines heures avec des êtres dont le souvenir continue de me hanter. Des visages et des voix sont là qui s'accrochent à moi et refusent de me laisser poursuivre ma route en paix. Avec ces vivants, j'ai partagé des années lumineuses mais aussi des jours sombres. Avec eux, j'ai souffert et été heureux. Quel qu'en soit le prix, je dois revivre ces heures. Je le dois à tous ceux qui sont morts alors que la vie s'ouvrait devant eux, lumineuse et sereine. »
Bernard Clavel