Dirigé par Jacques Berne.
Aucun peintre n'a laissé à la postérité tant de commentaires sur son oeuvre que Jean Dubuffet. Imposant, clairvoyant appareil critique. Trop imposant, trop clairvoyant, qui ne manque sans doute pas d'influencer la vision que nous avons de son oeuvre et de nous empêcher même d'imaginer la vision que nous en aurions pu avoir. Nous ne pouvons en parler innocemment, c'est-à-dire avec le droit à l'erreur que l'ignorance suppose. Nous en parlons donc en état de culpabilité. Vis-à-vis de ses propres commentaires si nous nous en écartons. Vis-à-vis de nous mêmes si nous les prenons en considération avant même de regarder l'oeuvre en cause. Il est tentant, voire obligatoire, d'établir un rapprochement entre le texte original - les tableaux, sculptures, monuments - et sa traduction - cette somme d'écrits critiques rassemblés dans les deux tomes des Prospectus et tous les écrits suivants. I1 serait tentant de le faire si nous pouvions échapper à la contrainte de devoir rapprocher les uns des autres, et à la limite, faire coïncider l'écrit et la peinture. Car si Jean Dubuffet affirme avoir écrit ces textes d'une part pour satisfaire la curiosité des journalistes, qui voulaient qu'il s'explique sur ses travaux, et d'autre part pour le plaisir de quelques amateurs, on pourrait observer que l'écrire chez Jean Dubuffet constitue une sorte d'accompagnement qui fait écho à ses peintures, qui leur sert de contrechamp. L'écrire, ici, joue-t-il le rôle d'une parole complémentaire qui surfilerait un discours principal ? Les linguistes ont-ils défini ce qui d'un message est indispensable à la communication : ses traits pertinents ou ses redondances ? Dans l'oeuvre de Jean Dubuffet quels sont les traits pertinents, quelles sont les redondances ? A moins que ses écrits ne soient l'équivalent d'une seconde articulation, permettant à l'ar d'accéder au statut de langage qui lui demeure habituellement contesté ?
Numérisation réalisée avec le soutien du CNL.